Chabatz d’entrar

En Limousin, une expression revient souvent dans les bouches comme dans les mémoires, elle parle des seuils, des rencontres et des invitations. Elle parle de pudeur tout autant que d’accueil, de la discrétion et de la délicatesse que suppose le temps long pour que les portes s’ouvrent. Elle dit à bas bruit l’hospitalité et l’écoute d’un pays qu’on a trop longtemps quitté. Elle ne parle pas fort. Mais elle offre une oreille. Inquiète et curieuse. Chabatz d’entrar, « finissez d’entrer ». C’est une main qui dit : « Bienvenue ». Mais qui dit aussi qu’on continuera encore à s’apprivoiser car franchir est un geste qui ne se finit pas, car entrer s’approfondit dans le temps comme dans les saisons. Et qu’au fond, on le sait, on n’en viendra jamais à bout.

Cette expression, je l’ai croisée plusieurs fois au cours des rencontres et des entretiens cet hiver, quand les langues cherchent dans la mémoire de celles qu’on a oubliées, comme une indication discrète à l’entrée de certains villages. Elle intrigue tout autant qu’elle appelle. Et elle témoigne, pour qui l’a oubliée, de la force du Lemosin comme de celle de l’hospitalité.

Cette expression, elle me parle aussi de l’enquête, de ces enquêtes en Corrèze. Des visages rencontrés. De celles et ceux qui habitent ici. Pour certains depuis des générations, pour d’autres depuis quelques mois. Pour beaucoup qui ne cherchent plus à compter – à quoi bon après tout ? Et des précautions qui existent entre le dehors et le dedans, dans l’attention aux passages, dans la réserve comme dans la retenue. De la patience et des heures longues qu’il faut s’accorder avant qu’apparaisse un signe. Pour l’heure, ce sera d’abord le seuil, puis un premier café, puis les champignons ou les œufs qu’on échange d’un air entendu, les coups de pouce, un premier dîner, les vies qui se trament en s’observant du coin de l’oeil.

Elle parle aussi des paysages, d’un pays qui est compartimenté, à la fois raide et timide, où les routes et chemins ne filent pas droit, où la terre boit l’eau, où on s’empêtre, où ça colle aux pattes, où ça gauille, où ça brume, où les collines se cachent entre les mouillères pour pleurer la neige qui ne cesse de tomber.

Venir prend du temps.

Finissez d’entrer.

%d blogueurs aiment cette page :